Depuis ses origines, la médecine naturiste s’est trouvée du côté des médecines dites alternatives.
Ce terme de médecine naturiste fut utilisé pour la première fois en 1743 dans la thèse de médecine que Théophile de Bordeu a soutenue à Montpellier. Par ce terme il entendait qu’il faut prendre la nature pour guide, celle-ci correspondant à une force vitale qui nous maintient en vie, avec une capacité propre à résister aux maladies et à nous maintenir en bonne santé. En fait il incitait les médecins à la prudence, voire à l’abstention thérapeutique, dénonçant des méthodes qui pourraient rendre mortelles des maladies qui auraient guéri toutes seules. On le comprend facilement quand on se souvient que l’arsenal thérapeutique officiel était limité aux saignées, aux lavements et à des « médicaments » plutôt toxiques comme l’antimoine ou le mercure.
C’est le début de la querelle entre les tenants d’une médecine agissante, interventionniste et ceux d’une médecine expectante, qui attachait par contre une grande importance à l’environnement du malade, l’exposant à certains climats pour stimuler l’œuvre bienfaisante de Dame Nature.
Au cours du XIXème siècle deux phénomènes vont remettre en cause l’influence de la médecine expectante :
- Le développement de l’approche scientifique de la médecine notamment de la physiologie et l’amélioration de la pharmacopée. La maladie devient une pathologie qu’il faut combattre et la médecine interventionniste va avoir le vent en poupe. Pour les partisans de la médecine naturiste, la maladie était plutôt une réaction bénéfique de l’organisme, une stratégie pour se débarrasser d’un principe morbide grâce à la nature médicatrice.
- La révolution pastorienne qui est le triomphe d’une autre approche de l’étiologie et de la thérapeutique, mettant un microbe devant chaque maladie infectieuse, développant l’antisepsie et la vaccination.
A partir de 1830 la médecine naturiste a continué à se développer dans les pays germaniques avec l’avancée de l’hydrothérapie, mise au point par un paysan autrichien, Vincent Priessnitz ; il traite certaines maladies par application d’eau froide. Il trouve le succès auprès du public, il aura aussi des procès pour pratique illégale de la médecine, mais grâce au soutien d’un médecin de la cour d’Autriche sa notoriété est assurée et il peut ouvrir un établissement thermal pour pratiquer des soins basés sur la transpiration forcée, l’application d’eau froide, l’exercice physique et un régime alimentaire. (1)
En 1854 Arnold Rikli ajoute l’héliothérapie à l’hydrothérapie et crée en Slovénie un centre de cure à base d’eau, d’air et de lumière, plus un régime végétarien. Il va être un pionnier de la culture de la nudité.
Autre grand nom, dans le dernier tiers du XIXème siècle, le curé bavarois Sébastien Kneipp, avec un beau succès de librairie, « ma cure d’eau ». Il accueille des malades et les soigne par application d’eau froide, marche pieds nus et utilisation de plantes médicinales.(2) Une partie du corps médical le suit, se forme à la méthode Kneipp ; une association internationale de médecins kneippistes est formée en 1894.
Que la médecine naturiste se soit d’abord développée dans les pays germaniques peut s’expliquer par le fait que l’industrialisation et la mécanisation de l’agriculture y ont été précoces, générant de nombreux effets indésirables : paupérisation de la classe ouvrière, habitat insalubre, rythme de travail infernal favorisant la dégradation des conditions de santé, avec tuberculose, rachitisme, alcoolisme, asthme, carences alimentaires.
Pour la médecine naturiste, une bonne santé durable ne peut se passer d’une bonne hygiène de vie ; cela ne l’empêche pas si nécessaire d’utiliser ponctuellement des médicaments efficaces, ces deux écoles de pensée doivent être complémentaires. (3)
La bonne hygiène de vie repose sur une alimentation saine, plutôt végétarienne et presque frugale, des exercices physiques réguliers, le respect du sommeil et du rythme de vie, la vitalisation par exposition à l’air, la lumière et l’eau, le port de vêtements amples, un habitat sain, clair et aéré, une tendance à la spiritualité, la compassion et l’entraide.
Fin XIXème c’est l’apparition de la physiothérapie qui cherche à développer les capacités de défense de l’organisme par des actions physiques plutôt que de leur substituer un antiseptique chimique. A l’hydrothérapie, l’aérothérapie, l’héliothérapie, la thalassothérapie vont s’ajouter la kinésithérapie, l’électrothérapie et la radiothérapie.
Début XXème deux médecins français, le Dr Albert Monteuuis puis le Dr Fernand Sandoz théorisent la médecine naturiste avec la cure marine, une diététique spécifique et le recours à des agents naturels pour accroître la capacité de résistance aux agressions morbides en augmentant la quantité d’oxygène dans l’organisme, en mettant en évidence l’importance de la peau dans la reconstitution énergétique.
Le courant végétaro-naturiste s’est surtout développé dans certaines fractions des milieux aisés et cultivés avec le développement du thermalisme et des stations balnéaires.
Dans les années 20, le terme naturisme était encore exclusivement associé à des programmes de promotion de l’hygiène de vie et à des méthodes de soins, la nudité est rare et anecdotique.
Mais moins de deux décennies plus tard, le sens communément attribué à ce terme a évolué ; s’il garde une dimension sanitaire, il désigne principalement un loisir de plein air pratiqué entre amis sur un terrain isolé pour s’adonner à des jeux collectifs et des exercices physiques, nus ou en maillot de bain.
Dans les promoteurs on retrouve les frères Durville qui créent un centre en région parisienne, ce sera Physiopolis à Villenne sur Seine, créé en 1928, puis Héliopolis sur l’île du Levant. Ils recourent peu à un argumentaire de type médical mais proposent en plus d’une alimentation saine la pratique régulière de sports de plein air pour entretenir force et beauté du corps. La dimension hédoniste de ce naturisme de plein air tranche avec l’ascétisme du végétaro-naturisme précédant la guerre de 14.
Entre les 2 guerres le naturisme évolue vers la nudité intégrale, collective et mixte, à l’initiative de Kienné de Mongeot qui ouvre le Sparta Club en 1929 pour développer des activités naturistes en nudité intégrale, mais dans des lieux clos, en triant sur le volet les candidats souhaitant rejoindre le mouvement. La nudité collective fait d’ailleurs l’objet de nombreuses critiques, de la part des ligues de moralité et de la presse catholique mais aussi de la part de certains partisans du naturisme comme le Dr Paul Carton.
Pendant la même période la médecine naturiste continue d’être théorisée, soit en intégrant la nudité (Dr Géo Beltrami, Dr Joseph Poucel, des hôpitaux de Marseille), soit en la refusant (Dr Paul Carton). « C’est en violant consciemment ou non les lois de la nature que l’homme a attiré à lui la maladie »(Dr Gaston Durville). La cure naturiste englobe la cure alimentaire, la cure d’air et de soleil, la cure d’eau, la cure de mouvement et la cure morale.
Après la seconde guerre mondiale l’expression médecine naturiste tombe dans l’oubli, mais pas la démarche qu’elle défend qui consiste à faire de la prévention, améliorer « le terrain » pour limiter la prévalence des maladies aigües comme chroniques, limiter la prescription de traitements allopathiques comme des indications chirurgicales. Et cette démarche a été reprise par les médecines dites alternatives, l’homéopathie, l’acupuncture, l’ostéopathie, la naturopathie, et j’en oublie. On retrouve une véritable continuité entre la théorie de la médecine naturiste et celle des médecines alternatives, avec une approche holistique de la santé, dans laquelle le naturisme garde toute sa place.
- Arnaud Baubérot : Histoire du Naturisme
- Léo Bernard : Hippocrate initié. Courants ésotériques et holisme médical en France durant l’entre-deux-guerres
- Bruno Saurez : 120 ans de naturisme à Marseille
Patrick de SABENAT, octobre 2023